À nous Brussels
Plus jeune, j’avais l’habitude de prendre quelques jours de vacances et de partir à la découverte d’une ville européenne avec mes parents. Ensemble, nous avons parcouru Rome, Barcelone et Lisbonne. Ensuite, j’ai arrêté. Pas parce que je n’en avais plus envie. Pas parce que des obligations personnelles m’empêchaient de poursuivre ces périples. Pas parce que les frontières du monde entier s’étaient tout à coup fermées. Non, juste parce que je n’en avais plus la force. Parce ce que pour partir en voyage « ave » ma belle-mère, croyez-moi, il en faut…
Explications
Déjà, il faut plusieurs semaines et une bonne dose de courage pour évoquer l’idée de lui faire quitter Lyon (qu’elle exècre). Trouver une destination qui la séduise ou ne la contrarie pas trop n’est pas non plus tâche aisée (le top étant pour elle, le fin fond de la Suisse pour voir paitre les vaches … comme découverte de ville européenne, on repassera). Vient évidemment la problématique du temps de transport, le plus souvent en avion (la mission la plus complexe, on ne va pas se mentir), l’hôtel à choisir (de préférence « un qui ne soit pas trop haut »…). Bref, sauf à être remontée à bloc, en général, tu as abandonné l’idée avant même d’être allée jeté un oeil sur Booking.
J’avoue que tout ça a freiné mes ardeurs et que depuis Barcelone, on n’est plus parti nulle part.
C’est reparti pour un tour.
Reboostée après quelques années sans lutte, j’ai décidé de renouveler l’expérience. Voilà donc quelques semaines que je bataille pour qu’on parte de nouveau quelques jours. J’ai un argument de taille pour convaincre mes parents de partir avec moi : mon cadeau de 40 ans. Ça ne se refuse pas (enfin, tout dépend qui l’on est, évidemment).
Pour m’épargner, j’ai choisi une destination accessible en train. Le souvenir de ma belle-mère persuadée que le prêtre assis à côté d’elle dans l’avion était un terroriste alors que nous nous envolions pour Rome, m’a grandement aidée à faire ce choix raisonnable.
Nous voilà donc en route pour Bruxelles. Train direct depuis Lyon, 3h30. « Comme on ne sait jamais ce qui peut arriver d’ici là » (une météorite est si vite écrasée), j’ai pris l’option full sécurité : trajets de train et hôtel annulables jusqu’à une heure après l’heure prévue d’arrivée. Ça m’a couté les yeux de la tête, mais bon, c’est certainement ce qu’on appelle acheter sa tranquillité. Sur le papier, c’était donc parfait. Dans les faits ça l’est toujours un peu moins.
Déjà, parce que le temps annoncé à Bruxelles n’est pas terrible-terrible (« Forcément, partir la semaine des saints de glace, il fallait s’en douter » …). Ensuite parce qu’il faut rejoindre la gare. En métro (sous la terre). Et que le train est à 8h30. Autant dire, l’aube. La pleine nuit même. Savoir que ma belle-mère n’a pas avalé une horloge à la naissance n’est un secret pour personne (à ceux qui se demandent de qui je tiens, voilà la réponse). J’ai mille souvenirs d’elle qui finissait de se maquiller ou de se faire les ongles dans la voiture à 8h20 alors que nous partions pour l’école et que mon père (qui lui, a avalé une horloge), frôlait les 19 de tension en nous imaginant trouver le portail fermé. Elle encore, qui passait la serpillère ou nettoyait le frigo alors que les bagages étaient dans le coffre et que nous l’attendions dans le couloir pour partir en vacances. Elle toujours, qui arrive à 14h30 pour le déjeuner, quand tout le monde est là depuis 12h30. À sa décharge, quand elle vient déjeuner chez toi et que tu lui demandes de ne s’occuper que de l’entrée, elle débarque avec 2 quiches, 3 cakes, 1 salade de riz et une autre de pâtes (parce que les enfants préfèrent), 1 gratin et 2 gâteaux… faits le matin même évidemment. Forcément, ça prend du temps. Forcément, ça met à la bourre. Mais ce qui est bien avec ma belle-mère, c’est qu’elle s’en fout. Elle s’en tape complet de te faire poireauter. Pour elle, être en retard n’est une considération que de ceux qui sont à l’heure. En revanche, la donne change quand elle a un train ou un avion à prendre. Savoir qu’on peut ne pas l’attendre (« font chier ces conducteurs de train aussi »), ça la stresse. Dans ces cas-là, un seul mot d’ordre : poussez-vous de devant.
Dernière ligne droite.
Hier, dernier appel pour préparer le voyage. L’idée, c’est que mes parents laissent leur voiture dans ma rue et que nous rejoignions la gare d’Oullins à pied (15 minutes). Ensuite, nous avons 15 minutes de métro. Bref, si on veut prendre un peu de marge, on envisage de partir 45 minutes avant le départ du train, et c’est bueno. Bon, bah nous, on a pris 1h30 : « parce qu’on ne sait jamais si le métro tombe en panne ». À sa décharge, le mieux avec la ligne B c’est quand même de ne pas en avoir besoin. Ce qu’elle ne sait pas en revanche, c’est que si la ligne B tombe en panne, on est tout simplement dans la merde (et c’est là que le train annulable à la dernière minute prend tout son sens).
Pour la tranquillité de tous (la mienne en priorité), on est quand même partis de la maison à 7h15.
Elle a râlé contre les gens qui descendaient à pied les escalators par la file de gauche (« Ils n’ont qu’à attendre »), Elle a un peu tiqué entre l’arrêt Oullins et Gerland, parce qu’on était sous le Rhône et que bon, « c’est pas follement rassurant ». Elle a été aussi un peu contrariée d’avoir oublié sa serviette de bain qu’elle pose sur les taies d’oreillers des hôtels parce qu’elle ne sait pas « qui a posé sa tête dessus avant ». Elle a affiché un drôle d’air quand un jeune homme aux faux airs de Tintin a pris place à côté d’elle. Là, elle a le nez et les sourcils froncés parce que le monsieur derrière elle ne fait rien qu’à éternuer bruyamment. Ça l’énerve autant que ça la dégoute. 10h30, je sens que ça se bouscule bien dans sa tête. Quand vient une heureuse diversion : il y a un acteur dans la rame. La dame d’à côté en parle et sort son portable pour montrer une photo à ses enfants (inconnu à mon bataillon). La curiosité prend le dessus : les sourcils se défroncent… pour quelques minutes au moins. Dehors, le paysage défile et le train avance.
Dans quelques heures, on sera devant un cornet de frites et je prendrai l’accent belge que je ne sais pas prendre. Avec un peu de chance, ça lui fera oublier le reste … et moi aussi!
illustration: Penéloppe Bagieu / Photo Brussels Lonely Planet
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